Investir ESG en actions côtées : vraiment utile?

Bonjour !

Je me permets de relayer une discussion sur le forum Finary concernant l’investissement ISR sur des actifs cotés :

Avec un dernier bout de réflexion par ici :

En bref :

  • Investir ESG implique d’augmenter le coût du capital pour les entreprises poluantes, ce qui les pousse à rester dans leur modèle au lieu de se transformer.
  • Quand on parle des émissions de nos investissements, il y a une contradiction : elles ne peuvent pas compter à la fois pour le consommateur (qui achète et émet) ET l’investisseur (qui permet la production). Qui est vraiment responsable ? Les deux en même temps, donc les émissions ne devraient pas compter uniquement côté actionnariat…
  • Côté performance, un simple ETF World sera probablement « auto-nettoyant » au long terme en retirant naturellement les entreprises ne pouvant pas survivre face aux régulations qui arrivent. Pour un épargnant particulier, le risque paraît plus faible pour son épargne perso par rapport à choisir une thématique concentrée (même si importante bien sûr).

Il reste quelques avantages quand même, comme « voter » pour augmenter la demande pour de meilleurs labels plus sélectifs (et généraliser l’exigence de Goodvest).

Je suis un peu bloqué dans mes réflexions, à croire que l’utilité d’investir en actions ESG n’est finalement si sûre… Je serais intéressé d’avoir l’avis des déjà-convaincus-ISR, notamment l’équipe Goodvest :slight_smile:

Merci !

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Bonjour @MadeInJack,

Merci pour votre message. Effectivement, tous ces sujets recoupent des concepts assez vastes au sein de l’investissement ESG et parfois qui peuvent être compliqués à appréhender.

1. Est-ce qu’investir ESG augmente le coût du capital des entreprises polluantes ?

Concernant le coût du capital, c’est une interprétation à prendre avec précaution. Le coût du capital sera propre à chaque secteur d’activité et même chaque sous-secteur. Tous les secteurs n’ont pas les mêmes enjeux. L’étude sur le coût du capital (que vous pouvez d’ailleurs retrouver ici : https://www.man.com/maninstitute/ri-podcast-kelly-shue) évoque uniquement la capacité d’une entreprise à décarboner son activité. L’étude semble oublier toutes ces entreprises qui ont un business axé autour de la transition. Certaines entreprises ont des marges de progression différentes et ont justement besoin de progresser davantage dans la réduction de leurs émissions. L’investissement responsable concerne également les entreprises développant des solutions innovantes pour la transition et réellement engagés dans la réduction de l’impact climatique. Que ce soit par les énergies renouvelables, la mobilité bas carbone, la rénovation et l’amélioration de l’efficience énergétique des bâtiments qui ont un rôle primordial.

Néanmoins, il faut effectivement ne pas punir les grandes sociétés « pollueurs » qui ont une marge de progression très importante à condition qu’elles offrent des garanties crédibles sur leur volonté de répondre à l’urgence climatique. De la même façon, davantage de traçabilités et de transparence dans l’usage des fonds seraient un prérequis. Les objectifs de décarbonations futurs d’une société mais également sa capacité à contribuer à la transition vers une économie à faible économie carbone sont un indicateur nécessaire à prendre en compte.
Il existe encore beaucoup d’imperfections dans l’ESG et de grandes lacunes sur le plan réglementaire qui permettrait justement d’inciter certaines entreprises polluantes à se diriger vers d’autres activités et à décarboner leurs activités quand bien même cela serait moins rentable à court terme mais bénéfique (tant sur le plan financier que non-financiers) à long terme.

Au-delà du coût du capital, il faut également prendre les différents risques liés au changement climatique, comme le risque de transition et notamment le risque physique qui résulte directement des effets du changement climatique et qui aura nécessairement des répercussions sur les charges d’une entreprise qui ne s’engage clairement pas dans une transition et qui sont nécessairement plus vulnérables (en cas de phénomènes météorologique ou climatique extrêmes par exemple).

L’étude admet que sélectionner une entreprise selon des critères ESG réduit le coût du capital, en réalité c’est une très bonne nouvelle pour inciter les sociétés à développer des solutions en ce sens.
Enfin, nous en sommes convaincus, les solutions sont présentes pour changer, mais les gros pollueurs ne le font pas du tout (ou pas assez). Le discours du coût du capital n’est donc, à notre sens, pas recevable. En réalité, elles ne font pas leur transition car la rentabilité de leurs investissements dans les énergies fossiles est supérieure à celle des énergies renouvelables de par leur vision court-termiste. De ce point de vue, l’investissement durable joue un rôle positif en réduisant le coût du capital pour les actifs responsables.

2. La performance des investissements ESG

En ce qui concerne la performance, il est effectivement inutile de prévoir la performance d’un fonds/ETF ESG, car nous ne savons pas comment évoluera ce type d’actifs. Néanmoins, il est primordial d’avoir de la conviction en investissement, et nous sommes convaincus de l’intérêt de ces classes d’actifs à long terme. Ce sont des thématiques porteuses de sens à long terme. Nous partageons totalement la théorie de l’efficience des marchés à long terme et de la disponibilité des informations permettant de valoriser un actif financier à un instant t. Néanmoins, nous considérons aujourd’hui que le marché ne valorise pas le risque environnemental, qui est un risque financier. Une société qui n’évolue pas, qui n’adapte pas son modèle au changement climatique verra nécessairement sa valorisation être impactée. La prise en compte de critères ESG permet donc de se prémunir de ce risque.
Dans le cadre d’une allocation diversifiée, il faut néanmoins penser à adopter une stratégie de diversification efficace via une exposition géographique et sectorielle diversifiée (possible via un ETF World SRI par exemple) et une exposition plus importante à des thématiques porteuses (mobilité bas carbone, énergies responsables, agriculture durable etc).

3. Les émissions de CO2 de nos investissements

Enfin, la question des émissions associées à nos investissements est effectivement à prendre avec des pincettes. Il ne faut pas les additionner à notre empreinte carbone individuelle puisqu’elle supposerait une double comptabilisation des émissions de CO2e, ce qui n’est pas souhaitable et ce qui est faux. Néanmoins, la question n’est pas de savoir à qui doit-on attribuer ces tonnes de CO2e mais plutôt comment la réduire et l’éviter par le passé. Chaque tonne compte, et chaque acteur doit faire sa part (entreprises, États et particuliers) avec un objectif : accélérer la transition. Je me permets de vous partager une étude intéressante de Carbone 4 sur le sujet (Faire sa part ?). C’est pour cela que cette empreinte carbone doit plutôt être interprétée comme un indicateur de contribution (positive ou négative) au changement climatique en revenant sur des ordres de grandeur et des outils de mesures comparables.

4. La question de l’engagement actionnarial

Enfin sur l’engagement actionnarial, nous sommes totalement alignés. L’objectif de l’investissement en Bourse est également d’envoyer des signaux à la gouvernance des entreprises. Vous l’avez totalement rappelé, lorsqu’on achète une action c’est qu’il y a un vendeur en face, c’est un jeu à somme nulle pour la société cotée. Néanmoins, la détention de cette action offre des droits et notamment un droit de vote pour la société de gestion qui gère un fonds. La position des fonds vis-à-vis de ce droit de vote en Assemblée Générale joue un rôle crucial dans l’évaluation de sa responsabilité. Il est important que les sociétés de gestion ne soient pas passives lors des AG, et qu’elles se mobilisent pour les valeurs qu’elles veulent refléter.

De la même manière, il est primordial de s’assurer de la question de la transparence, et que la réduction des émissions de gaz à effet de serre, associés à des objectifs précis soient des éléments fondamentaux dans leur politique d’engagement et qu’ils soient respectés.

Vous l’aurez compris, l’ESG est un sujet très large mais son impact est réel. Il ne convient qu’aux acteurs de quantifier cet impact via des outils de mesures scientifiquement évaluables. Par exemple, chez Goodvest nous considérons le CO2 comme l’indicateur le plus abouti et disposant d’un cadre au niveau international. L’important est de commencer à mesurer plutôt que de ne rien mesurer, de commencer à réduire plutôt que de ne rien faire et surtout d’agir collectivement dans la mesure où la finance à un rôle primordial dans l’atteinte des objectifs climatiques.

Nous restons bien évidemment à votre disposition avec l’équipe Goodvest si vous avez la moindre question !

Matthieu

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Bonjour @Matthieu_Santos, merci beaucoup pour cette réponse intéressante et détaillée !


Sujets 1 et 4

Je me fais l’avocat du diable pour poursuivre la réflexion : ne serait-il finalement pas une bonne idée d’investir sur TotalEnergies, car (1) ils allouent leurs investissements progressivement dans l’énergie décarbonée et (2) nous pourrions voter au conseil d’administration pour accélérer leur transition (et contrer le déploiement de bombes climatiques) ?

Cette entreprise (prise pour exemple illustratif car symbolique) étant contrainte de répondre à la demande en pétrole/gaz aujourd’hui tout en maximisant le rythme de transition, sa stratégie actuelle n’est-elle finalement pas si injustifiée du point de vue climatique ? Par dessus ceci, notre vote ne pourrait-il pas accélérer le rythme ? TotalEnergies a le potentiel d’être moteur dans la transition énergétique, mais a besoin de demande (en énergie mais aussi en actionnariat) pour justifier sa transition. Enfin, ne pas investir laisse probablement la place à d’autres pays/acteurs moins soucieux de l’éthique, et donc leur donne un vote plus orienté vers les profits de court terme.

Ce raisonnement s’applique à toute entreprise ayant le potentiel de s’adapter. De toute façon, aucune entreprise polluante ne peut se transformer trop vite (e.g. arrêter le pétrole) au risque de perdre face à ses concurrents moins éthiques ; l’actionnariat pourrait contribuer dans le bon sens. Les mauvais devront disparaître en utilisant la réglementation (hors de notre contrôle).

Sujets 2 et 3 : Je suis aligné avec vos réflexions, merci !


En somme, j’aimerais bien voir un label ESG évolutif (comme les normes d’émissions automobiles qui se durcissent régulièrement et changent de version, i.e. Euro 5, Euro 6…). Ce serait une bonne méthode selon moi : inclure les entreprises « bof » aujourd’hui, mais leur annoncer que les exigences pour être éligible ESG vont se durcir dans quelques années (en précisant les critères de mesure et niveaux requis bien sûr) et qu’ils risquent de perdre ces fonds s’ils ne s’y conforment pas. On aurait des ETFs qui suivent la dernière norme ESG-2024, ESG-2028, etc (idéalement à coupler à des sanctions réglementaires pour les non-éligibles). Sous ces conditions, l’investissement ESG me paraît avoir plus de sens que d’éliminer les mauvais joueurs d’emblée.

Enfin, par curiosité, comment placez-vous Goodvest à long terme ? Je suppose que l’idéal pour tout le monde serait d’avoir votre exigence généralisée à tous les produits pour pouvoir les labelliser ESG (vous faites le travail que les labels devraient faire de base finalement :sweat_smile:), souhaitez-vous aller dans cette direction ? Pensez-vous que Goodvest se différentie au long terme, ou prévoyez-vous de pivoter vers par exemple un cabinet de notation/labellisation ESG ? Désolé pour la question directe, ça m’intrigue trop :angel: